Episode 6, David, 86 ans 

David est né sourd-muet en 1935 dans une famille juive de Lorraine. La guerre éclate alors qu’il n’a que 4 ans. Découvrez vite l’histoire d’un homme débrouillard et attachant. 

 

Découvrez l’histoire de David, un retraité de 86 ans qui coule une retraite paisible sous le soleil de Cannes. Je vous le dis tout de suite, cet épisode est très spécial. Vous n’entendrez pas la voix de David. Il m’a confié son histoire pour que je la raconte à sa place. Il y a une raison simple à cela : David est sourd et muet.

J’ai rencontré David par webcam, grâce à son petit-fils Ludovic qui a accepté d’être notre interprète et que je remercie. Ils étaient tous les deux à Cannes, moi en Alsace. Et David m’a raconté sa vie, avec des débuts difficiles à cause de la guerre, encore plus difficiles pour un si jeune enfant, sourd, muet et juif dans une France occupée par les nazis. Certaines anecdotes sont terribles et des années après, son émotion reste intacte

Il m’a aussi raconté comment il a rencontré sa femme, comment ils ont vécu et travaillé ensemble, eux qui sont sourds tous les deux. Ils m’ont montré ce que le mot débrouillardise signifie réellement. J’espère que cet épisode vous plaira. Si oui, n’oubliez pas de le partager autour de vous, et de noter et commenter le podcast sur Apple podcast ou sur Facebook. Merci ! 

C’est David qui le dit :

Retranscription de l’épisode

Bonjour et bienvenu dans ce nouvel épisode de Rembobinette, le podcast qui donne la parole à nos aînés. 

Aujourd’hui, vous découvrirez l’histoire de David, un retraité de 86 ans qui coule une retraite paisible sous le soleil de Cannes. Je vous le dis tout de suite, cet épisode est très spécial. Vous n’entendrez pas la voix de David. Il m’a confié son histoire pour que je la raconte à sa place. Il y a une raison simple à cela, parce que voyez-vous, il y a un truc que je ne vous ai pas dit sur David, il est sourd et muet. La mission que je me suis donnée, de redonner une voix à nos aînés prend donc une nouvelle ampleur avec cet épisode pas comme les autres. 

J’ai rencontré David par webcam, grâce à son petit-fils Ludovic qui a accepté d’être notre interprète et que je remercie. Ils étaient tous les deux à Cannes, moi en Alsace. Et David m’a raconté sa vie, avec des débuts difficiles à cause de la guerre, encore plus difficiles pour un si jeune enfant, sourd, muet et juif dans une France occupée par les nazis. Certaines anecdotes sont terribles et des années après, son émotion reste intacte. 

Il m’a aussi raconté comment il a rencontré sa femme, comment ils ont vécu et travaillé ensemble, eux qui sont sourds tous les deux. Ils m’ont montré ce que le mot débrouillardise signifie réellement. J’espère que cet épisode vous plaira. Si oui, n’oubliez pas de le partager autour de vous, et de noter et commenter le podcast sur Apple podcast ou sur Facebook. Merci ! 

Maintenant, place à l’histoire de David. 

GRANDIR SOURD-MUET ET JUIF PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE

David naît le 23 avril 1935, dans une famille de notables luxembourgeois. Distilleurs de métier, ils jouissent d’une bonne éducation et d’un confort matériel appréciable. Lorsque David naît, il est sourd muet. C’est la première fois que cela arrive dans la famille, et on s’ en accommode comme on peut, avec les moyens de l’époque, qui sont bien différents d’aujourd’hui. Tout le monde s’adapte peu à peu. David grandit bien entouré, heureux. Et cela aurait pu continuer ainsi. 

Sauf que lorsque David a 4 ans, la guerre éclate. Rapidement les allemands occupent les territoires limitrophes et propagent la haine des juifs. La majorité de la famille de David, tous juifs, décident alors de partir, pour se protéger, survivre, vivre ailleurs. Les plus chanceux émigrent aux Etats-Unis ou en Afrique, certains n’auront pas eu le temps et seront déportés. Comme beaucoup d’autres, ils ne reviendront pas.

Les parents de David choisissent les Etats-Unis. Tout est prêt pour le jour J, les valises, les billets, les souvenirs à emporter avec soi et surtout, l’espoir d’une nouvelle vie, libre et sans peur. La famille se présente à l’embarquement, soulagée. Et pourtant, ce sentiment sera de courte durée : l’accès au bateau leur est refusé. La raison ? C’est que le petit David est sourd-muet et des handicapés, on n’en veut pas là-bas, dans le nouveau monde. Pas besoin de négocier, c’est un refus catégorique qui plonge la famille dans le désespoir. 

Pas question de partir sans lui, bien sûr, alors la famille se replie dans la France libre, plus précisément à Billom, dans le Puy de Dôme. Ils se cachent dans une ferme, puis une autre et encore une autre. Ils changent souvent d’endroit pour ne pas se faire repérer. Pour dédommager leurs hôtes, le papa, Charles, travaille dans les champs, la maman, Andrée aide à la maison. De cette époque, David se souvient de la jolie place du village et des petits chevreaux qu’il biberonnait avec tendresse. Les petits bonheurs de la campagne lui restent ainsi en mémoire 70 ans après, son sourire est révélateur. 

Très vite, il est placé en pension près de Lyon, à Villeurbanne, dans un centre d’éducation spécialisé pour les sourds. On l’y dépose, on lui présente Marie, la surveillante. On lui dit de l’appeler maman Marie. Le week-end et pendant les vacances, alors que les autres enfants rentrent chez eux, lui reste avec maman Marie. Tant et si bien qu’il se croit vite orphelin. Marie est sa nouvelle maman, c’est sa nouvelle vie. Il ne comprend pas tout ce qu’il se passe, personne ne lui a parlé de la guerre, personne ne lui a dit qu’il était juif. Il est maintenu dans l’ignorance. Pour le protéger, bien sûr. Il comprendra plus tard, grâce aux explications de son frère, il connectera les différents points et il comprendra. Mais sur le moment, c’est la confusion, la peur liée à l’inconnu. Il a le sentiment qu’on ne lui dit pas tout mais il a du mal à demander, à trouver des gens qui peuvent lui expliquer. Il est obligé de vivre avec ce sentiment que quelque chose cloche. 

Il a si peu conscience de la guerre, qu’il me raconte cette anecdote. Il est en voiture avec ses parents à la campagne quand un bombardement commence. Lui dort à l’arrière. Ses parents fuient la voiture pour quitter la route et se mettre à couvert, dans la forêt. Une peur viscérale a guidé leur pas. Mais le petit David dort profondément, sourd au monde extérieur, il n’entend pas les bombes, il continue de dormir. Pendant ce temps, ses parents regardent la voiture depuis le sous-bois. Ils prient pour que leur voiture ne soit pas touchée. Leurs prières sont exaucées. Quand les avions s’éloignent, ils regagnent illico la voiture et redémarrent. David dort toujours. Il ne s’est rendu compte de rien. 

La guerre, heureusement, finit par s’éteindre et chacun peut rentrer chez soi. Chez soi, pour la famille de David, c’est Metz. David se souvient avoir retrouvé sa maison intacte mais sans ses meubles. La maison avait été pillée, ils n’avaient plus grand chose, si ce n’est ce qui avait été sauvé par les astuces du papa, Charles. Par exemple, il a sauvé l’argenterie en l’emmenant avec eux dans leur fuite. Il a aussi eu l’idée d’enlever les tiroirs des commodes pour les cacher ailleurs. “Qui volerait une commode sans tiroir ?” me demande David. 

Mais David ne reste pas à Metz longtemps. Il a besoin d’une école qui peut prendre en charge sa surdité, alors il est envoyé à Paris. Et là, l’anti-sémistime qu’il n’avait pas connu frontalement pendant la guerre, il se le prend de plein fouet. Il subit les railleries, il est mis à l’écart car c’est le seul qui ne va pas à la messe le dimanche. Il est souvent dans son coin. C’est un enfant timide. Il n’a qu’un ami, Paul, et souffre souvent de solitude. 

Cela ne l’empêche pas de mener ses études à bien. Il ressort diplômé et devient tailleur après 5 ans d’apprentissage. Il me confie qu’il n’a pas vraiment fait le choix d’être tailleur. c’est son père Charles qui lui a soufflé l’idée. Pourtant, il travaillera toujours dans le textile, toute sa vie. Il passera plus de 15 dans l’entreprise de son frère Pierre, comme coupeur puis se mettra à son compte. Avec sa femme, ils tenaient une petit atelier de retouche/mercerie en Lorraine. Maintenant que je vous ai dit qu’il avait une femme, j’ai envie de vous raconter comment ils se sont rencontrés ces deux-là. Une bien jolie histoire, qui dure depuis plus de 60 ans. 

UN MARIAGE D’AMOUR 

Dans cette histoire d’amour, il y a 3 personnages principaux : David, sa femme Josiane et Charles, le papa de David que vous connaissez déjà. Charles a toujours voulu que son fils ait une belle vie, handicap ou pas, il ne pouvait pas accepter que la surdité de David le limite en quoi que ce soit. Et pour lui, le bonheur passe par le mariage : un couple heureux, une maison, des enfants, une vie de famille épanouie, tout simplement. Et il sait quel type de femme il veut pour son fils : une femme juive, sourde et muette elle aussi, de l’âge de David et habitant la région. Autant dire qu’il s’agissait de trouver une perle rare dans une meule de foin. Sans internet, sans réseaux sociaux. Imaginez-vous. 

Le hasard, la chance ou peu importe comment vous l’appellerez intervient alors quand la soeur de Charles lui parle d’une jeune femme, Josiane, qui correspond au profil et vit à Nancy. Elle y travaille dans le café de ses parents. Charles part la trouver, elle et sa famille, sans rien dire à son fils. Il rencontre Josiane et est conquis. C’est la femme qu’il faut pour son fils, ils s’entendront à merveille, il n’a aucun doute. 

Mais Josiane a peur, elle, elle a des doutes. D’abord elle ne connaît pas David. Ensuite elle sent bien que leurs familles sont différentes. La sienne est modeste, une famille de pieds noirs comme il y en a tant, rentrée en France, qui a ouvert un café et travaille en famille. Elle ne se sent pas du même monde, elle est intimidée par cette famille aisée et cultivée. Charles la rassure, lui offre des cadeaux, toujours détournés pour ne pas la gêner. Tantôt un vêtement qu’elle a discrètement admiré en vitrine, tantôt un accessoire. Elle se sent estimée et appréciée, comme déjà accueillie dans la famille. 

Et un jour la vraie rencontre a lieu. David débarque sur sa moto. Ils ont un casque pour deux, “les règles de sécurité, à l’époque, c’était pas pareil” me dit-il. Il l’emmène sur son bolide et ils partent déguster de bonnes pâtisseries en ville. Une histoire qui commence tout en sucre donc.  Et comme Charles le pressentait, ils s’entendent à merveille. 

Le mariage est célébré le 17 août 1958. Charles les installe alors dans une coquette maison. Il veut leur bonheur. Il souhaite compenser leur handicap comme il peut par sa tendresse, son aide matérielle et morale, sa présence sans faille tout simplement. 

De ce mariage naîtront 3 filles. L’une d’elle, présente lors de notre entretien, me confie sur le couple que forme ses parents : “c’est rigolo mais pour l’époque c’était un couple moderne, qui avait inversé les rôles traditionnels. Maman est bricoleuse. Papa s’occupe du ménage et de la cuisine.” Un couple atypique pour l’époque en question, c’est certain !

Elle parle aussi de leur handicap, disant que quand on est l’enfant entendant d’un couple sourd-muet, on grandit plus vite et on devient la voix de ses parents. Justement, je me suis demandée ce que la surdité avait changé dans la vie de David et par extension dans celle de la famille qu’il a fondée avec Josiane. Arrêtons nous un moment ensemble sur cet aspect de leur vie. 

UN MONDE SANS SON

Quand je demande s’il est le premier sourd-muet de sa famille, David me dit que oui. La raison selon son petit-fils est la consanguinité qui s’est installée fatalement dans les familles juives provinciales de l’époque. Pour perpétuer la religion, il faut se marier entre soi, or la communauté juive locale est limitée et on a souvent un lien de parenté plus ou moins proche avec son mari ou sa femme. 

Mais peu importe finalement d’où vient ou pas cette différence. Elle n’a pas été un obstacle à la vie de David et Josiane, ni sentimentale, ni professionnelle, ni familiale. Car le maître mot de la famille, c’est la débrouille et ils l’ont inculquée comme une valeur à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Ils savent se faire comprendre, langue des signes ou pas. 

Ils n’ont pas eu peur d’ouvrir leur propre boutique de retouche, et d’être face aux clients, de prendre leur commande, de gérer les paiements. le tout sans les entendre. Ils avaient quelques astuces. Pour les prix par exemple, ils étaient affichés sur le comptoir pour qu’ils puissent pointer du doigt aux clients la bonne somme. Ils ont vite suscité l’admiration en ville et gagné une clientèle fidèle et honnête. 

Ce sens de la débrouillardise se retrouve chez les enfants et petits-enfants. Son petit-fils, présent en tant que traducteur lors de l’entretien, me rapporte quelques anecdotes. En vacances chez ses grands-parents, à 2 ans, il tombe et se casse la jambe. On est dans les années 90, comment appeler les pompiers si on ne peut pas parler ? Alors sa grande sœur de 7 ans intervient et appelle elle-même les secours. Une réaction rare et mature chez une enfant de cet âge qui lui vaudra un article dans le journal local. Comme sa maman avant elle, elle devient la voix de ses grands-parents. 

Des questions simples auxquelles je n’avais jamais pensé me viennent alors à l’esprit après cette anecdote. Si on reste dans les années 90, sans Zoom, Facetime et autre, sans webcam, et sachant que le couple s’est installé à Cannes pour la retraite : comment communiquent-ils avec leur famille restée dans l’Est de la France ? Le téléphone ne sert à rien alors la famille m’explique que leur truc à eux, c’était le fax. Le fax du dimanche. Et là nouvelle question de ma part, à des enfants qui ne savent pas lire, on envoie quoi ? Et bien des dessins pardi ! Le petit-fils, Ludovic, se souvient avoir reçu des dessins de gâteaux avec bougies pour son anniversaire et des ménorah pour hanouka. C’était leur communication à eux, rien d’extraordinaire pour lui, complètement inédit pour moi. 

Il faut noter que David a toujours été à la pointe de la technologie, le premier à avoir un minitel, puis internet puis un smartphone, conscient que ces outils allaient révolutionner sa vie. A la webcam que nous utilisons pour notre entrevue, il me montre un petit boîtier et m’explique qu’il en a un dans chaque pièce. Cela clignote lorsque quelqu’un sonne à la porte. Tant de petits détails auxquels on ne pense pas quand on entend.

 

David a aussi toujours eu des hobbies. D’abord l’eau : il nage depuis petit. Il était champion de piscine et s’entraînait à nager dans la Moselle. Un brin frisquet quand même. Puis, une fois installé à Cannes, il a profité de la clémence du climat méditerrannéen et nageait “500 mètres tous les matins, jusqu’à la bouée jaune” me dit-il. 

Ensuite les voyages, en Lambretta (scooter type Vespa) quand il était jeune, seul ou avec sa femme, à Deauville ou Bruxelles, pour voir l’atomium. Notez que mamie était toujours très coquette, robe et talons ou rien ! Elle s’installait en amazone sur la moto et roulait des heures ainsi, élégante, en route vers l’aventure. Sans GPS, sans la possibilité de demander son chemin aux passants, mais toujours en se débrouillant. J’ai pensé “courageux”, leur fille, forcément plus inquiète a pensé “inconscients”. Plus tard, le couple a osé des voyages plus conséquents comme Israël en 2008 et quelques croisières. 

Et aujourd’hui, qu’en est-il ? David a quelques problèmes de santé liés à l’âge, comme souvent chez les invités que je vous présente. On a d’autres bobos à 86 ans qu’à 30. David et Josiane vivent une belle retraite, paisible, où chacun entretient ses passions. David cuisine, mamie coud en autodidacte, elle brode, elle tricote. Ils ont leurs habitudes dans le quartier et David y est très connu. 30 ans déjà à Cannes et des jours heureux et ensoleillés devant eux. 

Voici venue la fin de notre épisode avec David. J’en retiens beaucoup de résilience et une confiance dans la vie. On peut toujours se débrouiller, on peut avoir des obstacles, un handicap, mais en bidouillant, on s’en sort. Cela a été un plaisir de rencontrer David et sa famille, j’espère que pour vous aussi. . Si oui, n’oubliez pas de partager le podcast autour de vous, et de le noter et commenter le podcast sur Apple podcast ou sur Facebook. J’insiste mais c’est le seul moyen de le faire connaître et de faire résonner la voix de nos vieux tous ensemble. Merci et à bientôt pour une nouvelle Rembobinette !