Orpheline de guerre à 4 ans, elle a su se construire une vie pleine d’amour et une belle famille. Pleinement engagée dans la vie associative, son optimisme et son énergie forcent l’admiration. Découvrez vite la petite flamme de Mathilde !

Dans ce premier épisode de Rembobinette, le podcast qui donne une voix à nos aînés, vous découvrirez l’histoire de Mathilde, une femme de 86 ans remplie d’optimisme et d’énergie.
Après une enfance en Alsace marquée par une guerre qui la rendra orpheline, elle s’est construit une vie pleine d’amour avec une belle famille et de longues amitiés.
Elle a consacré beaucoup de son temps et de son incroyable énergie à la vie associative, pour faire avancer le monde dans le bon sens, même si ce n’est que de 3 petits pas comme elle le dit. Son bon sens, sa sagesse même, ne vous laisseront pas de marbre et j’espère que, comme moi, vous ressortirez grandi de cette rencontre.
C’est Mathilde qui le dit :


Retranscription de l’épisode
Bonjour à tous, je m’appelle Aurélie et je vous souhaite la bienvenue sur ce premier épisode de Rembobinette, le podcast qui donne la parole à nos aînés.
Ensemble, nous allons rembobiner le fil de leur vie en nous arrêtant sur leurs plus beaux souvenirs leurs petits et leurs grands bonheurs, leurs fiertés, leurs regrets parfois, ainsi que sur les événements historiques qui les ont marqués.
Les participants, que ce soit Benoît, Mathilde ou encore Jacqueline, nous offrent un témoignage unique.
J’ai beaucoup appris en les écoutant et j’espère que ce sera le cas pour vous aussi. Ils sont inspirants, drôles, émouvants et j’espère que vous passerez un aussi bon moment à les écouter que moi à les rencontrer.
Dans ce premier épisode vous découvrirez l’histoire de Mathilde une femme de 85 ans remplie d’optimisme.
Après une enfance en Alsace marquée par une guerre qui la rendra orpheline, elle s’est construit une vie pleine d’amour avec une belle famille et de longues amitiés.
Elle a consacré beaucoup de son temps et de son incroyable énergie à la vie associative pour faire avancer le monde dans le bon sens même si ce n’est que de trois petits pas comme elle le dit elle-même. Pour vous dire, elle a même monté un collectif pour proposer des projets d’amélioration de l’espace public depuis sa chambre en maison de retraite !
Bref cela a été un plaisir de rencontrer cette pétillante grand-mère et arrière-grand-mère. Je suis partie reboostée à bloc et j’espère que cet épisode aura le même effet sur vous.
Merci d’avoir accepté de participer à cet épisode de Rembobinette. Est- ce que je peux vous demander de vous présenter pour les gens qui nous écoutent ?
Mon nom c’est Mathilde, j’ai 85 ans depuis le mois dernier et puis voilà je suis en fin de vie. J’aimerais bien vivre encore un petit peu dans ce qu’on appelle vivre quoi.
C’est tout ce qu’on souhaite.
Si on se rencontre aujourd’hui c’était pour en apprendre un peu plus sur vous sur votre enfance, sur votre vie professionnelle et puis votre famille, les souvenirs que vous vous êtes construit. Si vous voulez bien j’aimerais commencer par votre enfance, savoir où et comment vous avez grandi.
C’est un chapitre très douloureux qui encore maintenant me fait souffrir. C’est à dire je suis née en 36 et en 40 nous habitions mes parents et ma grande soeur, mon grand frère et ma petite soeur à Cronenbourg et nous avons été victime du premier bombardement de Strasbourg. Mes parents ont perdu la vie. Ils sont décédés dans ce bombardement tous les deux le 16 décembre 1940 donc voilà le départ dans la vie un peu un peu difficile et qui a fait que toute la fratrie a été très marquée par cette expérience et que chacun de nous a vécu souvent dans sa vie par rapport à cette perte brutale de nos parents dans la petite enfance en ce qui me concerne ma petite sœur avait 6 mois et mes deux aînés avait huit et neuf ans.
C’était la grande douleur de mon début de vie et après cela nous avons, je parle pour tout fratrie, nous avons été recueillis par des membres de la famille mais qui n’avaient aucune envie de nous avoir. C’était pas dans leurs programmes de vie donc c’est encore une très mauvaise expérience de début de vie dans un désert affectif complet. La grand mère était avec nous dans l’appartement elle est restée en vie aussi donc les parents sont décédés la grand mère et les enfants sont restés en vie.
En ce qui me concerne j’ai été recueillie par une tante et un oncle. Cette tante elle aurait voulu avoir des enfants à elle et tout d’un coup elle avait cette petite de quatre ans qu’elle a détesté parce que c’était pas la sienne et elle a fait payer cher sa présence dans le couple et cela tout le temps, tout le vécu avec le couple.
Il y a aussi des petits souvenirs de la vie courante c’est à dire ça se passait à Haguenau, dans une maison, il y avait un jardin autour donc en temps de guerre, avec des arbres fruitiers, avec des choses qu’on plantait, avec des poules dans le garage qui pondaient l’œuf du jour. J’étais nourrie et je devais être reconnaissante pour cela.
Ça c’est jusque 8 ans et puis après la guerre, cette tante et mon oncle sont allés habiter à Sarrebourg et j’étais donc scolarisée. Avant j’étais à l’école maternelle allemande et donc là je devais aller dans une classe, la première classe faite en français que je ne comprenais pas du tout. Alors pendant un an j’étais assise au fond de la classe, je comprenais même pas de quoi on parlait.
Après la guerre ?
Oui oui la première année après la guerre ouais et puis bon on disait que j’étais sotte, bête vous savez, tant pis. Et on m’a changé d’école, dans une école catholique aussi et là il y a quand même eu une attention différente par rapport à cette problématique des enfants alsaciens qui comprenaient pas du tout le français et puis j’ai rattrapé très vite la compréhension de la langue et je suis restée là-bas jusqu’au BEPC, c’était le diplôme suprême. C’est assez étonnant cette année où cette petite gamine était silencieuse et muette. Juste pour un détail ce BEPC, on apprenait juste, par exemple, dans l’histoire de France, une période c’est à dire c’est pas les gaulois, c’était la révolution donc ce qu’ il y avait avant c’était rien du tout, et après, aucune idée.
Après cela, ils ont acheté un restaurant, enfin un bistrot, à Strasbourg et là je suis entrée dans la vie active. Alors le grand concours était le suivant : c’était à la caisse régionale de sécurité sociale alors 5 lignes de dictée avec des accords de participes passés et des calculs de primaire et voilà mon concours était gagné ! J’ai pu travailler là-bas. Et puis le soir je devais travailler jusqu’à 1h, 2h du matin dans le bistrot ce qui a occasionné une terrible fatigue. C’était terrible, je me demande comment j’ai tenu le coup mais voilà j’ai survécu. Et dans ce restaurant venait mon futur mari, il me semblait être un homme gentil et j’ai pensé me sortir de cette vie de Cosette, presque d’esclavage en gros, enfin c’est pas le mot juste. C’est comme ça que je me suis mariée mais c’était peut-être pas la bonne solution mais voilà vous savez, on ne sait pas, on fait des choses qui sont ce qu’elles sont et puis après on a des enfants. Et puis quand on a des enfants on les élève et on se met un peu en retrait, ses propres envies, on se met en pause voilà et c’est comme ça.
Vous vous êtes mariée à quel âge ?
A 19 ans et puis là on a eu trois enfants donc les parents de Charlotte et Pauline, et puis Jean-Marie c’est l’aîné et puis Vincent, puis Françoise notre fille. J’avais ces enfants à élever et un mari qui ne s’intéressait pas du tout, qui ne se sentait pas du tout concerné. C’est encore le fait peut-être de l’éducation d’avant, le devoir des maris c’était de travailler, de donner le salaire et puis à côté de ça il aimait bien jouer aux cartes, donc il jouait aux cartes et puis des sorties de ce qu’il voulait, c’était aller à la pêche donc là les enfants n’étaient jamais inclus dans cela donc c’était quand même c’était un peu difficile tout ça.
C’est comme ça qu’on est arrivé à Erstein, je me disais je peux pas les laisser en ville quand même. C’est pas loin, on va acheter une caravane et puis comme ça moi je suis avec eux dans la nature et puis lui à la pêche donc il sera pas contre etc. Et puis voilà.
Vous avez des beaux souvenirs du coup de ces années nature à Erstein ?
C’est à dire oui, déjà de leur plaisir à eux. C’était tout tout tout tout au début du plan d’eau. On était la deuxième caravane là bas donc c’était pas du tout ce que c’est devenu après, quand c’est devenu les HLM à l’horizontale, avec énormément de monde de Strasbourg qui passait le week-end là, un peu festif. C’était plus tellement agréable mais comme les enfants s’étaient fait des copains et des copines, on est resté. La meilleure preuve que ça leur a plu c’est que les deux garçons ont construit à Erstein donc ils avaient des bons souvenirs des Erstein.
Tous les week-ends on allait là bas et puis pour faire faire sourire, je voulais leur montrer toutes les fleurs, les plantes, alors j’avais acheté un livre puis je les emmenais dans les prairies et toutes les fleurs qui était dans le livre n’étaient pas là. Donc on a rangé le livre et c’était pas ça l’essentiel. Ils pouvaient se baigner, ils avaient de la liberté dans la nature et puis il y avait ces endroits boisés tout tout près où c’étaient des expéditions. Et puis quand on allait ensemble avec Charlotte, Pauline, Thomas, Marion et Sophie, les cousins, c’était marrant quelquefois. J’ai vécu une très bonne période là parce que je pouvais être enfant avec eux c’est à dire partager l’imaginaire. Donner de la tendresse et recevoir la tendresse.
C’était merveilleux pour moi, peut-être la période la plus belle de ma vie, celle que j’ai pu passer avec mes petits enfants et je pense que eux aussi ils ont aimé cette mamie qui n’avait pas de soucis d’éducation mais qui débordait de tendresse et d’imagination.
On faisait du théâtre nous, je vois encore l’endroit, près des écluses alors on mimait les contes des 7 chèvres, enfin chacun avait son rôle. Quand quelqu’un passait il se disait : « qu’est-ce qu’ils font ceux-là ? Ils sont fous ! » Puis après on allait dans la forêt, on grimpait aux arbres. C’était aussi le fait d’être avec les cousins et tout ça, vous savez, c’était la famille un peu plus étendue que papa/maman/enfant point final. C’était du bon temps pour eux aussi. Ils vivaient d’autres choses avec la grand-mère qu’avec les parents et ça je trouve que c’est très chouette pour les deux parce que les grands parents on a plus ce souci du bien, du mal, des obligations… Alors c’est une grande liberté et que du bonheur.
Je suis très attaché à eux. J’ espère que c’était une bonne nourriture que j’ai pu leur donner, de valeurs aussi. Mais ce n’était pas comme ça je leur ai transmis des valeurs et point. Mais comme mon mode de vie était complètement différent de ceux des parents. sans jamais émettre de critiques ou rien, mais, comment dire cela, ma façon était différente dans les trucs, rien que de manger c’était différent.
Il y a pas mal de personnes qui nous écoutent qui sont à l’âge où peut-être ils ou elles vont avoir des enfants et on se pose souvent des questions. est-ce que c’est le bon moment d’avoir des enfants, est ce que je vais être à la hauteur, comment ça va se passer ? Est-ce que vous souvenez vous comment c’était au moment où vous avez votre premier enfant ?
Oui déjà pour les mamans de ma génération, les enfants n’étaient pas comme ceux qui viennent au monde maintenant. C’était des enfants qui souvent n’étaient pas souhaités. On tombait enceinte puisqu’il y avait pas de contraception donc ce n’est pas du tout comparable à ce que peut vivre une jeune femme maintenant qui choisit un moment donné de sa vie de faire cette expérience de maman, enfin ce choix de vie donc les femmes de ma génération vivaient, et je vivais, un enfant que peut-être je n’aurais pas souhaité à ce moment-là mais comme il se présentait, après il est là et puis après on s’en occupe. Après on est aussi élevé avec un sens du devoir un peu exagéré.
A cette époque, il y a aussi Dolto. C’est une période très riche celle que les femmes ma génération ont vécu. C’est à dire nous avons lutté pour la contraception parce que nous avons souffert et les générations avant nous, les femmes, n’avaient pas la possibilité du choix des grossesses. Elle subissaient.
J’ai fait à un moment donné de ma vie de l’écoute auprès de personnes âgée, c’était des personnes de la génération d’avant qui avaient 9-10 enfants. Les aînés des enfants élevaient les suivants, c’était terrible. Je pense que c’était ce vécu dans son propre corps et et le souvenir de la génération d’avant qui a donné la force pour arriver à ce que ça change et que la contraception puisse exister. Je parle pas de l’avortement qui reste toujours une réflexion qu’on maîtrise pas. Dolto nous disait que c’est l’enfant qui choisit de vivre. Cela a au moins rétabli cette idée que nous ne fabriquons pas les enfants. On les porte, la maman les porte pendant neuf mois mais ils ne sont pas notre production, non. Ils ont une existence propre.
C’était dans cet engagement très fort dans ce genre de féminisme qui a créé vraiment des modifications. peut-être les plus importantes de la vie des femmes. Il y a eu un fort engagement de ma part aussi. En ce qui me concerne l’avortement ne devrait même plus exister du fait qu’il y a une contraception qui pourrait être amélioré bien sûr, et pas être que le poids de la femme. Mais au moins elle devrait aboutir à ce que jamais la femme n’ait plus ce dilemme, qu’on peut aussi dire mutilation, de devoir avoir recours à l’avortement. Pour des raisons qui lui sont propres que moi je ne vais pas juger. Tout ça c’est individuel aussi, les priorités que se donnent les couples, ou les femmes etc.
J’ai eu la chance d’avoir une expérience avec cette démarche. Je l’ai empruntée dans une association de quartier pour une place qui était une ancienne dépôt de scierie et qui devait être construit donc récupérée par de l’immobilier. C’était le seul endroit qui aurait pu dans ce quartier, être disponible pour un petit endroit de jeux pour les enfants. Avec les mamans, à la sortie d’école, on a constitué une association et dans cette association de quartier, qui d’ailleurs a porté ses fruits, c’est une place qui existe maintenant au Neudorf. Elle s’appelle la place rose avec des arbres qui sont maintenant tout grand. On ne sait plus l’histoire mais on était à l’origine de cela. Et là j’ai rencontré des femmes ou des jeunes filles beaucoup plus jeunes et d’un milieu plus plus intellectuel que le mien qui m’ont emmenée dans leur réflexion, dans leur approche de la vie et tout ça on l’a partagée. Ça m’a énormément apporté.
Moi je leur ai aussi certainement apporté, de par mon tempérament. Ce sont des amis que j’ai encore maintenant les amis cette période là, c’est-à-dire d’une quarantaine d’années. Ce sont des amis qui se sont créés dans un projet commun, dans beaucoup de fatigue, dans beaucoup de travail… Mais voilà, c’est un trésor quand je pense à cette place là. C’est même un petit peu personnel, vous savez, c’est presqu’un peu les trésors cachés. On n’a même pas envie d’en parler. Je me dis bon dieu qu’est ce que tu as eu comme chance d’avoir eu ce résultat avec les autres parce que c’était dur. C’était du temps de M. Pfimlin, un maire très très autoritaire qui n’avait pas du tout l’habitude qu’un citoyen ait des projets et qu’il lui expose en complément dans des réunions publiques. C’est là que s’est constitué un groupe de femmes et c’est là où j’ai aussi compris leur démarche, leur approche et puis avec mon vécu aussi de femmes, tout ça c’était un très grand enrichissement dans ma vie. Qui repose sur du travail mais qui était quand même enrichissant et qui a fait que que je suis devenue ce que je suis. Ça m’a enrichie, ça m’a structurée pour utiliser un mot à la mode.
Vous aviez la famille à gérer et la partie associative. Vous aviez encore une partie professionnelle à gérer en plus de tout ça ?
J’ai été obligée d’élever les enfants. Mon mari était carreleur alors je me suis dit tiens si j’arrivais à l’aider à avoir le brevet de maîtrise, je pourrais moi m’occuper des choses administratives etc. C’est une très grande erreur que j’ai faite parce qu’il faut pas, dans une recherche de d’épanouissement de cet ordre là, il faut prendre les risques et tout ce qu’on peut faire soi même. Mon mari n’avait aucune envie de ça. Il vivait très bien ce qu’il vivait et il n’avait aucunement envie de plus. C’est quelque chose qui était très difficile et surtout dans une branche où la femme n’était pas acceptée : le bâtiment. Là aussi j’ai vécu des choses très très intéressantes parce que c’est moi qui ai cherché la clientèle. Je suis allée prospecter les architectes etc et là j’ai fait des supers rencontre aussi. Ils étaient surtout étonnés par le personnage : qu’est-ce que c’est cette bonne femme là qui vient etc ? Mais sérieusement aussi avec le brevet de maîtrise et les garanties de gestion. J’ai fait de très belles rencontres qui aussi m’ont beaucoup apporté parce qu’ils me révélaient quelque chose que j’étais pas consciente, que j’avais des qualités.
Et ça dans mon enfance comme on m’avait tellement dit que j’étais idiote, que je n’arriverai à rien… Oui, oui, c’était terrible. Et que je devais tout à l’esprit charitable de la famille. J’étais handicapée donc cette reconnaissance de quelqu’un, où je sentais un peu de bon étonnement et on donnait suite à assez de monde aussi. C’était aussi très intéressant et après je me suis intéressée au côté artistique c’est à dire c’était la période où les première céramique italiennes étaient importées. Ça faisait beaucoup de malheurs je dirais pas ce que les personnes souhaitaient que des grands décors etc. Alors dans chaque pièce c’était comme des tableaux vous savez pas l’unité mais l’ouverture comme une perspective. Puis je m’étais intéressée à des choses plus originales comme la lave émaillée, le contemporain et je me découvrais de découvrir, de me sentir bien. J’avais besoin certainement de sortir de ce mauvais sort qu’on m’avait jeté : « tu es incapable ». Chaque fois c’était comme ça des découvertes, où tout d’un coup je voyais que j’y arrivais.
C’était la vie professionnelle puis après quand mon mari était à la retraite moi j’avais 55 ans et j’avais donc j’avais très peu de trimestres de travail donc je me suis dit faut que je trouve faut que je travaille encore. Le fait d’avoir été efficace dans le monde associatif où j’étais devenue présidente de l’association de quartier, ça m’a permis ( je sais pas si c’est le bon mot) de travailler à l’ABRAPA. Ils cherchaient quelqu’un qui leur permettait… C’était aussi une prise de conscience que dans tout ce que l’ABRAPA était en train de créer (c’est à dire les résidences etc) le vieillissement était bon quand il y a une nourriture autre que celle du manger. Il fallait créer un programme d’animations qui n’existait pas alors ça, ça me plaît. J’ai fait une très belle expérience aussi ici. J’ai fait des bonnes expériences finalement !
Je suis très consciencieuse aussi : qu’est ce que je peux apporter aux personnages âgées ? sans être formée, ou psychologue ? Je voulais quand même bien faire et c’est encore notre éducation ça, le sens du devoir, du travail bien fait…
Toute ma culture, entre guillemets, s’est faite par la lecture puisque j’avais arrêté les études à 16 ans. Il n’y avait pas Google encore alors tu cherchais dans les livres sur comment est-ce que je peux apporter quelque chose à la personne âgée ? J’ai découvert l’ouvrage de madame Herfray et je l’ai lu et j’ai découvert là dedans des notions qui pour moi était étrangères dans mon langage et surtout dans les mots c’est à dire le désir, le désir qui existe jusqu’au bout de la vie, une réflexion que moi je n’aurais jamais pu faire si je n’avais pas eu ce cadeau entre guillemets de ce livre là. Et alors je l’ai lu et puis j’ai découvert donc cette réflexion sur le vieillissement de madame Herfray et je vois elle était chercheur au CNRS. Elle était psychiatre et strasbourgeoise. Alors j’ai pris mon téléphone et puis j’ai téléphoné à madame Herfray et je lui ai expliqué qu’elle était ma démarche et si elle était d’accord que je puisse m’entretenir avec elle de ce que je proposerai pour être sûr que ça que ce soit juste. Elle savait plus que moi. Elle a accepté et donc aussi là l’accent était mis sur la créativité.
J’ai mis en place par exemple un atelier de peinture en faisant appel à l’école doré à ce moment là qui existait encore. C’est une école un peu renommée pour des cours de peinture, de dessin…. C’était aussi très belle expérience parce que c’était aussi un homme qui savait enseigner. Il avait vite compris que la personne âgée ne pouvait pas être attentive très longtemps donc il fallait que ce soit court et que toutes ces personnes disaient « je ne sais pas dessiner » parce que dessiner la génération d’avant c’était quelque chose qu’on faisait pas. C’est à l’école, c’est pas du tout de dessin dans leur vie. C’était « je ne sais pas dessiner » Alors l’une ou l’autre a fait aussi la découverte qu’elle savait dessiner ! Je me rappelle un raisin d’une des personnes qui savaient pas dessiner, mais c’était merveilleux ! Il y avait aussi de la gymnastique et tout plein de choses !
Et j’ai pu m’entretenir plusieurs fois avec madame Herfray et puis j’ai vu surtout l’importance de ce que moi j’avais pu apprendre, qui pourrait être utile à toutes les personnes qui devaient être en contact avec les personnes âgées et l’ABRAPA a accepté qu’elle fasse des stages pour les responsables de résidence. C’est donc ce qui s’est fait et moi je suis tombée malade au bout de cinq ans donc j’ai dû arrêter. J’avais presque 58 ans je crois, alors je n’ai plus travaillée après à l’ABRAPA. C’était fini.
C’est là où j’ai fait de l’écoute après parce que j’avais découvert et compris une chose : qu’une animation ne peut être profitable que si elle suit l’écoute de la personne âgée, c’est à dire que on propose et on propose mais on ne sait même pas ce que la personne attend, il faut que ça passe ! C’est ça le point essentiel, situer des besoins avant de faire toutes ces choses artificielles ! Mais qui ont le mérite d’exister, je ne critique pas, mais dans une résidence avec des personnes qui restent longtemps, qu’on peut connaître, ça doit passer par l’ écoute d’abord. Après j’avais constitué, pour les écouter, des groupes de parole et je me dis bon mais comment je peux faire fonctionner ça et j’avais retenu, tout simplement, je dirais des choses communes, toutes simples comme les fêtes de Noël, Pâques qu’est ce qui se passe autour de cela ? Des activités de lessive car il y avait des jours de lessive encore pour la génération d’avant. Il y avait tout un mode de vie que vu mon âge je connaissais, puisque j’étais pas la petite-fille de ces gens là, j’étais leur fille ! J’ai vécu de ce que ces générations m’avaient appris ! J’avais constitué un calendrier : la rentrée, l’école à ce moment là, toutes ces choses là….
C’était très intéressant parce que vous ne pouvez pas réunir les personnes et les faire parler quand il n’y a pas un sujet. Quand il y a un sujet qui est commun à tous, ils s’expriment par rapport à cela et la parole se libère par rapport à d’autres choses, à d’autres vécus, à d’autres centres d’intérêt… Je me suis dit ce serait peut-être intéressant, je vais en parler, je ne sais plus comment ça c’est fait, où j’ai atterri, mais il fallait le faire à Schutzenberger.
Il y avait là deux infirmières, qui elle faisaient déjà des groupes de paroles et de l écoute et je les ai donc vue et j’ai dit voilà moi je fais comme ça, c’est chouette allons-y ! Mais oui, mais venez donc avec nous et j’ai assisté à un miracle ! Je leur ai donné mon calendrier car elles c’était encore la génération après moi, vous savez, c’était des jeunes femmes de 20/25 ans. Les gens personnes âgées étaient amenées dans leur chaise roulante et il y avait un dialogue par rapport à toutes ces choses qu’elles connaissaient de leur vie.
Il y avait une personne qui était récemment venue à Schutzenberger et qui d’après les infirmières, elle ne parlait à personne. Elle était rentrée dans cette structure muette. Elle avait décidé d’être muette donc elle était assise là et ne disait rien. A un moment donné, après plusieurs mois, une personne raconte ce qu’elle faisait par le passé et tout d’un coup elle s’oublie et elle dit « non non c’était pas comme ça » Donc elle s’était oubliée, qu’elle avait décidé de pas parler et à partir de ce moment-là elle s’est sociabilisée, elle parlait à tout le monde, avec le personnel et tout ! J’ai vécu ça comme un miracle et on est resté assez longtemps en contact, pendant quelques années elle m’envoyait des cartes et elle se rappelait les beaux, les bons moments qu’on avait passés.
Maintenant que je dis ça, je me rends compte que j’ai énormément de richesse dans ma vie dans un certain domaine comme ça d’expérience et de partage et que c’est chouette ça aussi.
C’est vrai que j’allais dire que de débuts très difficiles, vous avez réussi à vous construire une vie très enrichissante.
Peut-être à cause de cela je sais pas. Faut que je réfléchisse. La prochaine fois je saurai.
C’est une énergie de vie qu’on a tous en nous vous savez, on trouve des stratagèmes pour survivre. L’expérience par exemple de ma grande sœur qui est maintenant décédée, ce sont des expériences similaires dans d’autres domaines.
C’est incroyable ce que des désastres de guerre qui existent encore maintenant font. Ça me révolte de constater qu’on n’a pas trouvé encore d’autres solutions de règlement de conflits que par la guerre. Parce que c’est qu’une répétition de ce que j’ai vécu, tous ces enfants qui sont orphelins, qui n’ont rien demandé et qui toute leur vie et peut-être même celles de leurs enfants, parce qu’on est écorché vif quand on a vécu ça comme enfant. Mais je n’ai plus assez de force pour me battre pour eux.
Finalement, c’est vrai je me suis toujours investie dans des projets. Le dernier en date : j’arrive à l’APBRAPA en tant que retraitée cette fois, près de la place de Zurich, une place plein centre de ville qui accueille le marché certains jours. C’est très bien. Et à part ça, c’est que les vélos qui passent. C’est pas terrible, il faudrait quand même ce soit un lieu de rencontres intergénérationnelles, qu’il y ait des bancs, que les personnes âgées dans les maisons de retraite puissent sortir de là, de ces lieux clos des résidents de maisons de retraite et que l’on peut leur donner cette chance là.
Quand il y a des bancs, c’est très simple, parce que ça donne le courage pour y aller. On sait qu’on n’arrive pas plus loin mais au moins on sort ! Et puis il y a des écoles tout près alors les enfants ben ils sortent de l’école et vont à la maison. Alors ce serait un endroit où si c’était aménagé, ce serait un sas, un endroit on peut sauter à la corde encore un petit peu. Vivre quelque chose avant de rentrer après l’école ! En fait toutes ces choses ont fait que j’ai créé le collectif qui s’appelle Libellule et qui a fait des propositions qui ont été prises quand même au sérieux dans la mesure où je peux dire que ça a été quand même bien traité dans les services techniques.
Mais ça a pris mes dernières forces, c’était même au dessus des forces presque que j’avais encore. J’avais des problèmes cardiaques mais comme j’avais commencé quelque chose, je vais le pousser jusqu’au bout.
Donc en étant vous-même retraitée, vous avez pris les choses en main ! Vous avez une belle énergie !
Je sais pas, pour moi tout le monde à cette énergie-là, il faut simplement en prendre conscience. Je vous assure, ça c’est une découverte que j’ai faite, que même toute vieille comme je suis quand on pense qu’il y a encore une petite flamme en soi dans la mesure où on arrive à se débarrasser de tout le superflu, des choses, des conneries je dirais de la méchanceté de l’accumulation de choses matérielles, cette petite flamme a nouveau de l’oxygène. Elle suffit encore pour faire vivre la personne. Vous aussi il faut savoir que vous l’avez en vous. Il faut lui donner que de l’oxygène et l’oxygène je pense que c’est justement de l’action, comme vous faites aussi de s’investir dans un projet, vouloir faire avancer dans la bonne direction un petit peu le monde, juste de trois petits pas mais voilà, ça c’est le bol d’oxygène.
C’est un peu difficile parce que j’ai encore eu une opération des yeux puis une occlusion intestinale. L’année dernière à cette époque là je pouvais même plus me laver ou me metre debout, j’avais plus de muscles. Maintenant voilà ma petite flamme elle me laisse de nouveau un petit peu d’espoir.